Je relaie un article d’Emmanuel Tellier publie il y a quelque jour sur Telerama. L’article original est disponible ici

Un recensement à l’échelle française, ce n’est déjà pas rien (voir ici comment procède l’Insee). Alors imaginez un peu un recensement de toute la population du sous-continent Indien ! Un peuple estimé (et seulement estimé, c’est bien le problème) à plus d’un milliard 160 millions d’âmes, vivant sur un territoire de plus de 3 millions de kilomètres carrés. Le deuxième pays le plus peuplé au monde, après la Chine, mais aussi la population la plus jeune, avec plus de 560 millions de personnes de moins de 25 ans.

Chaque année, le Sous-Continent verrait naître entre 19 et 20 millions d’enfants. Mais même ce chiffre-là manque de précision, beaucoup de nouveau-nés voyant le jour dans les campagnes sans toujours être déclarés à l’état civil dans les délais requis.Plus largement, l’Etat indien manque cruellement de données statistiques fiables, les déplacements massifs et permanents de population rendant encore plus compliquée la mise en place de politiques cohérentes et efficaces en matière d’urbanisme, de transport, d’hygiène ou d’éducation. Des villes comme Bombay, Hyderabad ou Bangalore voient, par exemple, arriver plusieurs centaines de nouveaux habitants chaque jour, et ces fluctuations de population se font dans le désordre le plus complet, sans que rien ne puisse être entrepris pour essayer d’aider ces migrants rapidement perdus dans la masse.

Quiconque a passé un peu de temps dans ce pays fabuleusement complexe aura saisi à quel point il est régi par ce qu’on pourrait qualifier de “désordre assez ordonné”, un savant mélange de chaos ordinaire et de régulation minimum, l’Etat et ses administrations (à l’échelle de tout le pays, mais surtout au niveau des 28 grandes régions) n’ayant absolument pas renoncé à gouverner, encadrer, réguler, assister. Seulement, ces missions de service public relèvent, du Gujarat à l’Assam, du Tamil Nadu au Bihar, du défi permanent, voire de la mission impossible en temps de crise ou de catastrophe naturelle.

Raison pour laquelle, après avoir mûrement réfléchi à la méthode à adopter, le gouvernement de Manmohan Singh a finalement décidé de lancer ce chantier colossal : le comptage, à Å“il d’homme, de toute une population. Soit le plus grand recensement de tous les temps, puisque seuls des comptages partiels étaient alors entrepris, à peu près tous les dix ans.

A cette occasion, la présidente de la République, Pratibha Patil, a déclaré que “si tous les citoyens indiens prenaient à coeur cet effort collectif, alors la nation dans son ensemble ne pourrait que s’en réjouir, de même que chaque individu”. Le ministre de l’Intérieur, Palaniappan Chidambaram, a quant à lui expliqué en quelques mots l’objectif de l’opération : “Le recensement 2011 est l’opération la plus ambitieuse de ce type dans l’histoire de l’humanité. Notre objectif est d’identifier, de dénombrer, d’enregistrer tous les citoyens et de remettre à chacun une carte d’identité.”

Les données permettant de (re)calculer le taux de pauvreté (actuellement estimé à 25 %), le taux de chomage (on parle de 10 %), mais aussi des questions portant sur l’accès à internet ou la possession d’un compte bancaire feront également partie de l’énorme enquête statistique.

Pour la mener à bien, plus de deux millions d’enquêteurs. Temps estimé de ce travail : six mois. Livraison des données analysées : février 2011. Coût de l’opération : 35 milliards de roupies (environ 580 millions d’euros).

Si vous vous intéressez à l’Inde et lisez l’anglais, nous vous recommandons la lecture de quelques-uns des (souvent très bons) journaux du pays.

Tout d’abord l’excellent hebdomadaire India Today, sorte de Newsweek indien, accessible en ligne à cette adresse, et qu’on peut aussi trouver en France, chez quelques commerçants indiens ou sri-lankais. L’hebdo, souvent très critique vis à vis des politiques et de leurs administrations, publie régulièrement de grands dossiers sur l’économie de l’Inde et l’évolution de la vie des Indiens. Ces articles sont souvent assez faciles d’accès grâce à la qualité du travail d’édition (beaucoup de graphiques, d’infographie…). Ici, un court article d’India Today sur le lancement du recensement.

Ensuite, parmi tous les quotidiens publiés en langue anglaise : le Hindustan Times, dont le site web reprend de nombreux contenus, le Times of India (en ligne ici), on encore le Hindu, autre journal de référence. A voir, cet article du Hindustan sur le début de l’opération de comptage, qualifiée de “mother of all headcounts”, “la mère de tous les recensements” ; et la page plus complète, sur le même thème, du Times of India.

Enfin, pour une vision plus complète de la façon dont les journaux indiens chroniquent la vie politique et sociale du pays, il faut bien sûr se pencher sur le travail de Tehelka, formidable projet de presse indépendant, sous la double forme d’un hebdo souvent très grinçant et d’un site web ad hoc, tehelka.com. A l’échelle du pays, le tirage de l’hebdo lui donne des airs de petit poucet (110 000 exemplaires par semaine), mais son poids dans le débat public est de plus en plus impressionnant.