Un tout autre contexte.

Nous avons eu aujourd’hui notre première journée de cours. Nous avons enfin pu comparer notre niveau à celui des indiens, et découvrir les méthodes d’enseignement du pays. Les différences ne sont pas en notre faveur. Alors que les français en école d’ingénieur sont de moins en moins sérieux et de moins en moins intéressés par les matières scientifiques (certains articles ont été publiés allant dans ce sens, je ne parle pas de mon cas personnel), les indiens quant à eux sont orientés théorie à 100%.
L’Inde, pour s’en sortir, privilégie la connaissance. L’enseignement laisse aux ingénieurs le soin de se former techniquement dans l’entreprise. Le système permet aux élèves vraiment sérieux de s’en sortir, même si quelques bases financières doivent être apportées. Le résultat, c’est que les indiens peuvent donner n’importe quelle définition par coeur pour chaque terme technique. En cours, ça donne des choses étonnantes, où la prof parle de modulation et une élève répond sur le champ en citant toute les techniques de modulation qui existent. Concrètement, elle voit un peu à quoi ça sert, mais elle ne l’a jamais utilisée.
Mais le plus dur pour nous, c’est qu’en plus elle ne l’utilisera pas cette année non plus, cette collègue. Nous non plus d’ailleurs, alors que pour ma dernière année j’aurais souhaité avoir un coté plus technique. Je sais m’auto-former grâce à Internet, je sais assimiler un système pour être opérationnel assez vite. Ici, Internet est à peine disponible et les 3/4 des cours sont des “lecture”, le prof lit son powerpoint au tableau et les élèves prennent des notes.
La régression est donc terrible pour nous. J’ai l’impression que je vais devoir apprendre par coeur des cours, de la théorie, me remettre aux mathématiques, etc. La transformée de Fourier, pour les connaisseurs, je suis passé complètement à travers pendant l’ESEO. Et bien voilà qu’après le premier cours, je sais pertinamment que je vais devoir ré-apprendre tout ça. Je n’en ai absolument pas envie, mais alors pas du tout.
Toute la promotion de l’ESEO reste tranquilement 5 mois en cours à Angers, à faire des travaux pratiques super intéressants et formateurs, et laissant du temps pour faire la fête, s’amuser, et rencontrer. Tout ça est important pour moi aussi.
En lieu et place de tout ça, d’une fin de scolarité avec le reste de la promotion, je suis bloqué pour 12 mois de cours de type théorique qui ne me serviront pas. Je suis bloqué sur un campus où l’alcool est interdit, et où les rencontres sont limitées. Je suis bloqué dans un petit village où je peux acheter des tongs à 150 Roupees en négociant, découvrir la vie indienne tout en gardant un regard extérieur, et passer quelques soirées dans un hotel grand luxe, seul endroit où je peux boire une bière. Elle n’y est pas chère, certes, mais c’est le seul endroit.
Je me retrouve à perdre du poids, et à manger des choses que je n’apprécie pas. Le riz, je le disais, j’en ai ma claque. La viande, il n’y en a pas, mis à part du poulet rouge fluo, pour prévenir le prédateur de la quantité d’épices. Je suis bloqué dans un pays où la mousson vient de se finir et où la température, déjà peu agréable, commence à monter.
Oui, l’hiver va me manquer. J’aime l’hiver, j’aime mon grand manteau, j’aime sentir le froid. J’aime comprendre tout ce que disent les gens, j’aime la langue française. Par contre j’aime pas l’anglais baragouiné avec des “r” roulés.
Tout ça va passer, bien sûr. Le choc de la rentrée va peu à peu s’atténuer, et les indiens vont commencer à arrêter de nous regarder dés qu’on arrive (“oh, un blanc !”). Leur accent va finir par rentrer, leur nourriture aussi. Et elle ne ressortira pas tout de suite, si vous voyez ce que je veux dire.
Peut-être même que nous obtiendrons une connexion internet spéciale pour français, plus rapide et qui nous permette de travailler dans des bonnes conditions. Peut-être que nous allons nous pointer à des soirées Jet Set, dont le prix d’entrée est de 3€. Peut-être que nous allons nous habituer à avoir des emplois du temps comme le mien. Pour info, ça donne à peu près ça :
Lundi, Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi et Samedi (et oui, même le Samedi) : 8h30-13h30, 14h30-19h30. 50 heures par semaine, pour des cours pas folichons où les indiens étalent leurs connaissances théoriques devant un professeur incompréhensible.
[Edit : 10h par jour 6 jours sur 7, ça fait 60h par semaine de cours théoriques]

C’est vrai que regarder Les Lois de l’Attraction ce soir, film de soirées étudiantes américaines, n’était pas la meilleur idée qu’on est eue. Ce film est un de mes préférés, mais c’est si loin du contexte que ça en devient vexant. La régression, à 22 ans, c’est un coup dur.